Page:Lavergne - Fleurs de France, 1924.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même temps que les poules, et travaillant le plus possible en plein air. Mais, pour maintenir l’honneur médical, il lui prescrivit de prendre chaque matin deux grains de thériaque de Venise, et de se baigner le front tous les soirs d’une eau merveilleuse qu’il avait rapportée de Constantinople, et dans la composition de laquelle entraient de l’or potable, de la rosée de mai et du sang d’aigle. Il dit au baron que sa petite-fille avait une maladie à laquelle il donna un nom arabe ou grec absolument impossible à retenir ; mais il assura qu’elle guérirait, et le bon chevalier, heureux de cette promesse, le récompensa royalement.

Dès le lendemain matin, il voulut lui-même conduire sa petite-fille au Val, et fit seller Soliman, son vieux destrier. Il lui en coûtait bien de se séparer de Luce, et quand il la vit s’élancer sur sa haquenée blanche et recommander à Marie et à ses suivantes de se hâter de partir, l’aïeul eut un serrement de cœur. Il escorta en silence sa petite-fille sur le chemin bordé de haies d’aubépine et de pommiers en fleur ; mais lorsque en apercevant du haut de la colline la ferme de sa nourrice et la bonne femme qui filait, assise sur le seuil, entourée de ses poules et de leurs poussins, Luce se mit à chanter, le vieux seigneur chanta aussi, comme s’il fût redevenu jeune. Il chanta, car au xiiie siècle, comme à présent, le bonheur des grands-pères n’était fait que de la joie des enfants.

IV

LA FERME


Il y avait déjà deux mois que Luce était au Val, et son grand-père, qui venait la voir tous les deux ou trois jours, constatait avec joie qu’elle redevenait gaie et fraîche comme l’autre année. La vie active qu’elle menait à la ferme, l’en-