Page:Lavergne - Fleurs de France, 1924.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

– Hélas ! dit Marie, moi qui vous croyais si bon !

– Mais, mon enfant, c’est pour la guérir.

– Il y a mieux à faire : ordonnez-lui tout bonnement de passer l’été au Val, chez sa mère nourrice. Elle en a grande envie et n’ose le demander à son grand-père, de crainte de lui faire de la peine. À la ferme, mademoiselle reprendra ses belles couleurs et sa gaieté. Nous y avons un souverain remède contre l’ennui et la tristesse.

– Oui da ! dit maître Ozius : je sais que beaucoup de bonnes femmes en Normandie ont des recettes mystérieuses, mais il faut s’en méfier, vu leur ignorance. Elles en savent assez pour soigner leurs bêtes, mais pour traiter des chrétiens il faut être savant. Quel est ce fameux remède que vous avez au Val ?

– Il est bien simple, Messire, et le bon Dieu l’a donné pour rien aux pauvres gens et l’a béni dans l’atelier de Nazareth : c’est le travail. Ce qui fait les nobles dames si délicates, ce qui les rend si inconsolables quand elles perdent ceux qu’elles aiment, c’est qu’elles passent tout leur temps à écouter leur cœur, à creuser leurs idées noires. Nous autres, nous peinons tout le long du jour et toute la semaine sans avoir le temps de songer au passé, et le dimanche, quand nous nous reposons, c’est pour prier Dieu et songer à ce grand dimanche qui ne finira point et où nous ferons fête en paradis avec nos chers défunts. Et voilà : envoyez notre demoiselle au Val. Quand elle m’aura aidée tout le jour à sarcler le jardin, à faire le beurre, à estouper nos haies, elle soupera et dormira comme moi. Nous voici presque arrivés, maître Ozius. Souvenez-vous de mes paroles. Je ne suis qu’une ignorante, mais tout ce que je vous ai dit est vrai, aussi vrai que vous êtes un grand savant. »

Et, fouettant son âne, la jeune fermière lui fit gravir lestement la montée du château.

Maître Draconis, après avoir examiné et interrogé longuement la malade, reconnut que Marie avait raison. Il ordonna donc à Luce d’aller passer la belle saison dans un lieu abrité, paisible et champêtre, de n’y recevoir d’autres visites que celles de son grand-père et de Mme du Hommet, et de vivre en paysanne, levée avec l’alouette, couchée en