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Il vint tard, cette année-là, et plus d’une fois, en regardant les arbres couverts de givre et les prés ensevelis sous la neige, Luce se demanda s’il viendrait jamais. Mais enfin les perce-neige élevèrent leurs frileuses corolles au-dessus des feuilles mortes et des mousses humides. Au chant du pinson les violettes s’éveillèrent, et bientôt le renouveau couvrit la Normandie d’un robe de fleurs et de feuillage.

L’aïeul reprit ses promenades sur la terrasse, et Luce, soutenant ses pas de jour en jour plus lents, lui faisait raconter pour la millième fois le siège de Ptolémaïs, la captivité et la délivrance de Richard Cœur-de-Lion.

Mais elle ne souriait plus, et à mesure que les roses de mai fleurissaient dans son jardin, la pâleur des lis s’étendait sur ses joues. Inquiet, le baron Adam envoya chercher un fameux médecin astrologue qui habitait Cherbourg, et dont la science était fort réputée dans la Hague et le Cotentin. On le nommait maître Ozius Draconis.

Guidé par l’homme d’armes qui l’était allé chercher à Cherbourg, et suivi par un chirurgien et un apothicaire portant en croupe des sacs de cuir contenant des drogues et des instruments de chirurgie, le célèbre médecin cheminait, monté sur une mule bien caparaçonnée. Maître Ozius était encore alerte, malgré sa barbe grise ; ses yeux brillants sous d’épais sourcils, sa haute taille, son grand nez aquilin, et sa voix de basse-taille, faisaient de lui une sorte d’épouvantail pour les petits enfants. C’était du reste un habile homme, et on venait le consulter de fort loin. Il se dérangeait rarement ; mais la lettre pressante que lui avait fait écrire le baron Adam par le père Hélier l’avait décidé à franchir les trois lieues de chemin montant qui séparent Cherbourg de Brix.

La mule, si on lui eût demandé son avis, aurait proposé un autre plan. La route lui semblait longue, et elle ralentissait de plus en plus le pas, tandis que le cheval de l’homme d’armes, sentant l’écurie, rongeait son frein et bondissait d’impatience, contenu par son cavalier.

Une demi-lieue avant d’arriver à Brix, maître Draconis aperçut une jeune paysanne qui venait à sa rencontre, montée sur un joli petit âne qui trottinait paisiblement. La