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« Lisez, dit-il, nous verrons ce que c’est. »

Mais le chapelain, ayant d’abord parcouru la lettre des yeux, fit au baron un signe que celui-ci comprit.

« Éloignez-vous un instant, mes enfants, dit-il à Guillaume et à Luce ; promenez-vous ensemble le long de cette allée, je vous appellerai tout à l’heure. »

Les deux fiancés se prirent la main et s’éloignèrent. Tout en écoutant la lecture de la lettre du connétable de Normandie, le vieillard les regardait. Ces enfants de deux mères qui s’étaient aimées toute leur vie avaient été fiancés dès le berceau. Ils s’aimaient d’une affection aussi pure que les anges s’aiment au paradis, et, en les voyant marcher d’un pas si doux, si égal, entre les lis et les buissons de roses, l’aïeul sentait son cœur s’amollir et ses yeux se mouiller. Hélas ! la lettre qu’il recevait allait peut-être briser tout ce bonheur, anéantir toutes ces espérances !

Mais l’âme toute virile du vieux guerrier s’éleva vers Celui qui donne la force, et se hâtant d’essuyer les larmes qui, peu à peu, avaient coulé sur sa longue barbe blanche, il se leva, et appelant les fiancés, leur dit :

« Venez à la chapelle, mes enfants : c’est là que je veux vous parler. Venez avec nous, père Hélier, et vous aussi, Jouvine. »

Ils montèrent l’escalier qui, de la terrasse, amenait à la cour centrale où s’élevait le donjon, et entrèrent tous dans la chapelle. En prenant l’eau bénite, au lieu de la présenter à sa petite-fille, le vieillard fit le signe de la croix sur le front de Luce, et, la prenant par la main, la fit asseoir à sa gauche, sur le prie-Dieu de la défunte baronne de Brix. Étonnée, Luce regardait son grand-père.

« Mettez-vous là, lui dit-il, et puisse l’âme des saintes femmes qui occupèrent autrefois cette place, puisse l’âme de ma chère et pieuse Constance, votre grand’mère, Luce de Brix, inspirer et soutenir la vôtre. Messire chapelain, lisez-nous la lettre du connétable. »

Le père Hélier obéit, et voici ce que les fiancés entendirent :