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Sept douleurs qui ornait son oratoire, elle lui dit : « Ne soyez pas en peine de moi, mon frère. Je sais quel est mon devoir. Je resterai debout pour mes enfants. Stabat Mater. »

De ce jour, en effet, elle ne montra plus aucune faiblesse. Sous l’étreinte d’une douleur cruelle, on vit cette jeune femme grandir en force, en courage, en invincible espérance. Elle ne voulut pas émigrer, resta dans son château, centre et providence des malheureux du pays, et, secondée par son frère, ne songea plus qu’à instruire et à élever ses enfants.

Bientôt l’abbé dut fuir. Un prêtre intrus fut envoyé au village, et resta seul dans l’église, tandis que les paysans se rendaient dans une forêt voisine, où l’abbé de Saint-Aubin, caché dans la hutte d’un bûcheron, leur disait la messe sous les chênes ou dans quelque caverne. Puis, l’hiver l’obligeant à quitter cette vie errante, il rentra une nuit au château, et s’installa dans l’appartement secret. La vicomtesse seule le savait. Elle prit l’habitude de se tenir presque toujours dans la bibliothèque, et grâce aux nombreuses aumônes en nature qu’elle avait coutume de distribuer elle-même, elle put donner au prêtre caché tout ce dont il avait besoin sans éveiller l’attention des domestiques.

L’hiver se passa ainsi. L’abbé ne sortait que lorsqu’on le réclamait pour assister un mourant ou baptiser un nouveau-né. C’était alors la vicomtesse elle-même qui le guidait pendant la nuit jusqu’à la petite porte de sortie, l’attendait, et, lorsqu’il rentrait avant l’aube, lui rouvrait sa cachette. Les paysans ne savaient pas où il s’abritait, et, soit peur, soit discrétion, ne le demandaient pas. Les domestiques, quoique fidèles, n’avaient été mis qu’à moitié dans le secret. Ils croyaient que l’abbé logeait encore dans la forêt.

Une belle nuit de printemps était sur le point de finir. Le ciel blanchissait à l’orient, et un vent plus frais agitait les feuillages. Enveloppée d’une mante et assise près du feu dans la bibliothèque, la vicomtesse d’Algueville priait et sommeillait tour à tour. Elle priait pour l’âme de son mari, pour les captifs du Temple, et ses courts instants de som-