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Madeleine ne pouvait quitter ses enfants. Respectée, chérie de ses fermiers et de ses domestiques, elle semblait n’avoir rien à craindre. On espérait encore.

La fuite et l’arrestation du roi à Varennes enlevèrent les dernières illusions. L’émigration augmentait toujours. Les lois les plus iniques, les plus extravagantes étaient promulguées. Enfin le 30 septembre 1791, après avoir tout détruit en France, l’Assemblée constituante se sépara, décidant que pas un de ses membres ne pourrait être réélu. Elle avait enlevé le toit et sapé les fondements de l’édifice social, mis la torche aux mains des incendiaires, ouvert les portes, et chassé les gardiens. Il ne restait plus qu’à mettre le feu.

L’Assemblée législative se chargea de ce soin.

En apprenant la dissolution de l’Assemblée constituante, Madeleine espéra que son mari reviendrait au château. Il revint en effet avec l’abbé, mais ce fut pour bien peu de temps. À peine eut-il passé quelques heures avec sa femme et ses enfants, qu’il annonça son projet bien arrêté de retourner à Paris. « Le roi a besoin de défenseurs, dit-il à Mme d’Algueville. J’ai promis à Madame Élisabeth que je reviendrais. J’habiterai près des Tuileries, à l’hôtel de Nantes, et me tiendrai jour et nuit à la disposition de la famille royale. Comme député, je n’ai rien pu empêcher. Peut-être comme gentilhomme, comme soldat au besoin, pourrai-je servir le roi. Épargnez-moi vos instances, chère Madeleine, ma résolution est irrévocable. L’abbé restera près de vous. Je reviendrai quand l’honneur le permettra. »

Pâle et froide, Madeleine restait muette. Un combat violent se livrait en son cœur. Ce mari tant aimé, ces enfants si heureux de revoir leur père, les jours de bonheur qu’elle avait espérés, il fallait tout sacrifier. Mais deux années de pleurs, de solitude et de prières avaient mûri cette jeune mère. Sans se faire illusion sur le poids de la croix qui lui était présentée, Madeleine l’accepta, et dit simplement à son mari : « Faites votre devoir, mon ami. À Dieu ne plaise que je vous en détourne jamais ! Je resterai ici, avec vos enfants. Oubliez-nous s’il le faut, et ne songez qu’à l’honneur. »