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III


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Dix années se passèrent heureuses et paisibles. Le jeune ménage habitait le château, et y attirait la noblesse du voisinage à certaines époques de l’année. On citait dans tout le pays la jeune vicomtesse d’Algueville comme le modèle des mères de famille et des dames châtelaines. Nulle part la Saint-Hubert, le réveillon de Noël, les festins de Pâques, n’étaient plus joyeux qu’au château d’Algueville, et la présence de l’abbé, devenu curé du village et commensal du château, aidait Madeleine à maintenir ses convives dans les bornes d’une honnête et gracieuse gaieté. Après avoir vu naître les deux premiers enfants de sa belle-fille, la comtesse d’Algueville, Anglaise de naissance, avait souhaité retourner dans ses terres du comté de Sussex, et son mari, dont l’esprit commençait à s’affaiblir beaucoup, avait consenti à s’expatrier de nouveau. Il ne tarda pas à succomber à la maladie de cœur qui le minait depuis longtemps.

La douairière d’Algueville était morte aussi. Son fils aîné, marié au Canada, où il était allé refaire sa fortune dilapidée par des folies de jeunesse, ne voulait pas revenir en France, de sorte que les jeunes époux devinrent de très bonne heure chefs de famille. Cette tâche ne les effraya point, et, guidés par les conseils de leur frère l’abbé, ils vécurent aussi irréprochables qu’heureux jusqu’à la funeste année 1789.

Alors commencèrent à s’avancer des nuages dans le ciel si pur de leur destinée. Alain d’Algueville et son frère furent nommés députés aux états généraux, et partirent pour Versailles. Madeleine ne pouvait accompagner son mari. Déjà mère de trois enfants, elle nourrissait sa petite Aline, aussi