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II


L’ENTREVUE


L’hiver était venu, et la neige qui couvrait les rivages de la baie d’Algueville faisait paraître noirs et le ciel et les flots. Nul bruit autre que leur éternelle plainte ne se faisait entendre, et Madeleine seule dans sa grande chambre regardait tristement la campagne silencieuse et glacée. Minou-Minette s’était frileusement rapprochée du feu, et sur les vitres verdâtres s’étalaient çà et là les délicates arabesques tracées par la gelée.

« Je vais encore bien m’ennuyer aujourd’hui, se dit Madeleine ; à l’heure qu’il est, au couvent, on s’amuse à balayer la neige et à jeter du pain aux petits oiseaux. On entend les cris des pensionnaires du collège des Écossais qui font des glissades et se battent à coups de boules de neiges. On est plus gai qu’ici. Quel silence ! quel froid ! Si au moins ma belle-maman me permettait de sortir avec miss Betzy, mais elle croit que cela me rendrait malade. »

En effet, Mme  d’Algueville, d’une santé très délicate, et tout occupée à soigner son mari, toujours souffrant, ne pouvait s’imaginer que ce fût une bonne chose de sortir par tous les temps, et ne laissait descendre sa belle-fille dans le jardin, que lorsqu’il n’y avait ni pluie, ni vent, ni soleil. Miss Betzy, personne indolente, qui ne se plaisait que dans un fauteuil, enchérissait encore sur les recommandations de la comtesse, et tenait la jeune fille prisonnière les trois quarts du temps.

Miss Betzy entra, l’air empressé : « Mademoiselle, dit-elle, madame la comtesse désire que vous vous fassiez recoiffer et habiller. Il va venir des visites.

– Des visites par ce temps, Miss ? En êtes-vous sûre ?

– Parfaitement sûre. J’ai prévenu Renotte. »