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Elle y fut considérée comme une merveille, les angoras étant encore inconnus dans cette province. Pour l’amour d’elle les chiens favoris du comte d’Algueville furent privés de leurs entrées au salon, au grand scandale du vieux piqueur, Godefroy, qui haïssait les chats. Plus d’une fois, à l’office, il se permit de critiquer l’affection exclusive de mademoiselle pour Minou-Minette.

« Notre demoiselle ne regarde ni chiens ni chevaux, disait-il, pas même les daims du parc, et cette jolie biche que j’ai apprivoisée pour elle. C’est désolant. Pour sûr elle ne chassera jamais. Sa chatte est jolie, c’est vrai, mais c’est une sotte bête, après tout, qui ne fait que dormir, et laisserait volontiers les souris nicher dans ses oreilles, tant elle est paresseuse. Je ne comprends pas qu’on puisse s’attacher à une créature pareille. »

Godefroy ne voyait en Minou-Minette qu’une petite chatte. Madeleine d’Algueville en jugeait autrement. Les mouvements doux et gracieux de Minou-Minette évoquaient pour elle de riants souvenirs. Elle revoyait à son aspect le jardin du couvent, ses amies, ses jeux de jeune fille, et, en écoutant le soir, au moment de s’endormir, le ronronnement de Minou-Minette couchée sur le tapis près d’elle, Madeleine entendait, dans le vague lointain du rêve pressenti, les cloches et les cantiques harmonieux qui avaient bercé sa pieuse et paisible enfance.

Que de fois on se prend à sourire en voyant certaines personnes attacher un prix exagéré à des objets vulgaires, insignifiants, presque ridicules ! Ceux qui les gardent savent pourtant quels parfums, quelles mélodies s’exhalent de ces fleurs fanées, de ces pages jaunies, de ces meubles hors d’usage, et ce que dit encore l’oiseau qui ne chante plus, le clavecin fermé, la harpe muette et la chambre silencieuse où l’on n’entre que rarement, et le cœur oppressé. De ces ruines, de ces débris, sortent incessamment les visions du bonheur évanoui ; les passants ne sauraient les deviner, mais elles n’en sont pas moins douces et précieuses aux cœurs qui l’ont perdu et le pleurent en silence.