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de joli comme un petit chat ? rien d’élégant, de souple et de gracieux comme ses mouvements et ses malices ?

C’est en souvenir d’un mien chat, nommé Ronron, qui fut le compagnon de mes jeunes années, que j’ai promis aux minets d’Algueville de transmettre à la postérité l’histoire de leur trisaïeule, Minou-Minette première du nom. Or donc, écoutez cette histoire.

En 1778, le comte d’Algueville et sa seconde femme, née lady Georgina Talbot, après un séjour de quelques années en Angleterre, se résolurent à revenir habiter leur château de Normandie. L’éducation de la fille unique du comte était terminée ; elle avait dix-huit ans, et le moment de la marier était venu. Sans qu’elle en sût rien, sa main était promise depuis bien des années à un jeune gentilhomme normand. M. et Mme d’Algueville passèrent huit jours à Paris, et, à la veille de leur départ, la comtesse se rendit au couvent des Dames Anglaises pour y prendre sa belle-fille. Elle fit demander au parloir la révérende mère supérieure, et bientôt mère Élisabeth Douglas, grande et belle sous son costume blanc, parut à la grille, et salua Mme d’Algueville avec une grâce majestueuse.

« Vous venez nous réclamer le trésor que vous nous avez confié, madame la comtesse ? lui dit-elle : je vois partir avec regret Mlle d’Algueville, mais j’ai la consolation de pouvoir vous assurer qu’elle est digne de toute votre affection. C’est la jeune demoiselle la mieux douée, la plus pieuse que j’aie jamais connue. Dieu veuille qu’elle soit heureuse dans le monde !

– Est-elle joyeuse d’y entrer, ma mère ?

Mlle d’Algueville aurait bien souhaité rester encore un an ici, Madame ; mais elle obéira sans murmurer. Elle pleure cependant beaucoup.

– Hélas ! dit la comtesse, cela ne me surprend pas. Nous avons passé tant d’années loin d’elle, son père et moi, qu’il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle nous préfère son cher couvent. Nous allons l’emmener en province et l’établir richement. Elle va épouser le chevalier d’Algueville, son cousin fort éloigné, bon et loyal jeune homme à peine plus