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bon voyage et bonne santé. Il ne peut moins faire, vu leur nombre, que d’extraire de ses poches plusieurs piécettes, et il s’en va médiocrement satisfait de son excursion. Je parle ici du curieux banal, de ce personnage que l’on rencontre partout, qui sait un peu de tout, parle de tout, vrai passe-partout, et dans ses voyages n’étudie à fond que les notes des hôtels où il est plus ou moins écorché, plumé ou empoisonné. Mais quand un... – comment dirai-je ? artiste, poète, archéologue, sont des noms si profanés ! – quand un de ces pèlerins de l’idéal qui s’en vont à travers le monde en quête des parcelles de beauté, de grâce et d’harmonie qu’il renferme encore, quand un de ces chercheurs visite Algueville, il y revient, et, tout en donnant pourboire aux rusés Normands qui se sont coalisés pour le servir, il les remercie et se tient leur très obligé.

Sur Algueville j’écrirais des volumes. Il y a certaine tourelle d’où l’on entrevoit la mer entre deux sapins ; certaine chambre voûtée dont l’écho semble être la voix d’un lutin moqueur ; certaine plaque de cheminée... Et quels beaux rosiers, grimpant à la façade de l’est, enserrent de leurs guirlandes embaumées les meneaux de la fenêtre où jadis s’accoudait Blanche d’Algueville, l’héroïne d’une belle histoire que je sais ! Mais ce sera pour une autre fois, ami lecteur. Aujourd’hui je ne veux conter que Minou-Minette.

Au coup de huit heures du matin, tous les jours, la fermière d’Algueville se rend sous un petit hangar voisin de la porte qui de la basse-cour conduit dans la cour des communs du château. Elle porte un grand vase de cuivre brillant, contenant une soupe au lait fort appétissante, bien qu’elle ne soit faite que de pain bis et de lait écrémé. À Paris, ce lait passerait aisément pour crème que Dieu fit. La fermière verse cette soupe chaude dans une grande terrine plate, et elle appelle à claire et haute voix : « Minou-Minette ! Pst ! pst ! »

Alors arrivent de différents côtés dix ou douze chats, tous blancs, la plupart angoras. Les uns, jeunes et alertes, accourent en sautant ; les autres, d’une démarche plus posée, s’avancent avec grâce, tournent autour du plat, choisissent leur place, et, après avoir flairé, goûté, hésité, se mettent