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tour ; encore moins à regarder les anciens portraits qui décorent les appartements fermés, et à lire les volumes poudreux de la bibliothèque. Les hirondelles nichent sous les mâchicoulis, les corbeaux dans les cheminées, et çà et la, dans les interstices des pierres, sur la poussière imprégnée d’humidité par les brouillards du Cotentin, la mousse pose ses petits coussins de velours, et des graines enlevées par le vent s’arrêtent et germent au soleil de mars.

Les maîtres du logis séjournent l’hiver en Italie, au printemps à Londres ou à Paris, l’été en Suisse, l’automne aux Pyrénées, cherchant partout le plaisir, et s’ennuyant partout. Peut-être, sur le soir de leur vie, s’apercevront-ils qu’Algueville est le plus bel endroit du monde pour abriter l’étude, la prière, les affections de la famille, et viendront-ils vieillir sur ces bords charmants où chantent incessamment et la brise et les flots. Ils se diront alors : C’est ici que nous aurions dû passer nos jeunes années, cultiver la terre natale, protéger les pauvres, donner à qui le mériterait cet or que nous avons jeté au vent et aux gouffres insatiables. Que nous est-il resté de ce passé rapide, de ces courses folles ? Hélas ! pas même d’heureux souvenirs.

Quelquefois un promeneur, venu d’une station de bains de mer distante de deux lieues d’Algueville, demande à visiter le parc et le château. La permission lui est aisément accordée ; un garçon jardinier le guide d’abord, puis une fille de basse-cour lui montre les vaches, dont il ne se soucie point ; alors elle appelle son petit frère pour qu’il fasse voir à monsieur les écuries, où pourraient tenir trente chevaux, et où s’abritent, quand il pleut, le bidet du régisseur et quatre ou cinq juments poulinières. Tout cela n’amusant guère le Parisien, un vieux portier en bonnet de coton bleu lui fait visiter le château. Ils parcourent les appartements obscurs et sentant le renfermé, et où les rayons de lumière que fait entrer l’ouverture des volets intérieurs se constellent de myriades de grains de poussière. Au sortir de là, un autre domestique fait voir à monsieur la pièce d’eau et les ifs taillés en forme de dragons volants. Enfin, au moment de s’en aller, le curieux aperçoit, rangés près de la grille, toutes ces bonnes gens, souriant, saluant, lui souhaitant