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caché jusqu’à ce que l’affaire fût assoupie. Elle s’envenima, au contraire. Le prince allemand qui avait été laissé pour mort ne l’était pas ; mais il resta plusieurs semaines sans pouvoir parler, et sa famille accusa son adversaire de l’avoir attiré dans un guet-apens. Les gens de loi s’emparèrent de l’affaire, et si je me fusse montré, j’aurais été mis à la Bastille. Je demeurai donc trois semaines caché dans le château du comte, château gothique, rempli de trappes, de couloirs et d’appartements secrets ; puis je partis pour l’Allemagne, où je voyageai incognito, tandis que mes amis obtenaient pour moi une prolongation de congé qui me permit d’attendre l’issue du procès. Il a été jugé, je suis revenu au régiment, et me voici en garnison à Strasbourg ; mais mon vieil ami n’est plus, et tous mes beaux projets, j’en ai grand-peur, vont s’en aller en fumée.

– Quels projets ? demanda Mme de Leyen d’un air étonné.

– Ah ! ma tante, voilà ce qui n’est pas aisé à dire. Si encore cette religieuse n’était pas là !

– Encore une fois, mon neveu, ne la regardez que comme mon ombre.

– Eh bien, ma tante, chez ce vieux comte Braünn venait souvent une jeune et charmante fille qui faisait de la musique avec lui. Caché derrière la tapisserie, je l’écoutais, je la regardais par de petits trous, par la fenêtre quelquefois, quand elle allait au jardin, et de ses belles mains poussait le fauteuil roulant de mon vieil ami. Bref, j’en devins... Comment dirai-je ?... Enfin, je résolus de n’avoir jamais d’autre femme que Sabine. Elle était pauvre, je n’étais pas bien riche, et dans l’état présent de mes affaires je ne pouvais songer à me marier. J’avouai mes projets au comte. Il les approuva, et me promit d’en procurer le succès. Je partis. Quelques semaines après, étant à Vienne, chez un ami de cet excellent vieillard, j’appris sa mort et je reçus ceci. »

Et Robert tendit à la religieuse une lettre et une bague qu’elle reçut avec une émotion visible.

« Ô Providence ! dit-elle, que tes voies sont admirables ! »

Et, les yeux humides, elle lut ces lignes :