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un message du ciel. Elle attendit, crut un instant que sa destinée allait s’éclaircir, mais elle vit le piège, et sut l’éviter.

Deux jours après le souper chez l’intendante, la révérende mère de Leyen, alors âgée de quatre-vingt-un ans, était occupée à fermer des lettres qu’elle envoyait aux jésuites nouvellement bannis de Strasbourg, et à qui elle faisait passer des secours. Au moment où elle terminait cette besogne, une sœur converse vint l’avertir que Mme de Haütern la demandait au parloir.

« J’y vais aller dans un instant, ma chère sœur », dit la bonne supérieure. Et, prenant sa quenouille, et suivie d’une assistante, elle se rendit à la grille, s’assit et se mit à filer, tandis que l’assistante ouvrait le volet.

À travers la double grille apparut alors le visage pourpre de Mme de Haütern, qui, tout en colère, raconta que sa nièce était une folle, une extravagante, et refusait le plus beau mariage du monde.

« C’est inimaginable, ma mère, s’écria-t-elle, une fille qui n’a pas un sou, refuser un riche parti, un marquis, un jeune homme de vingt-cinq ans, beau, aimable, qui danse à merveille, qui est fort bien en cour, qui a un château à Gaillac, qui est cousin de l’intendante, qui veut reconnaître cinquante mille écus à ma nièce, sans que je lui donne un patard ! Et moi qui me suis mise en dépense, moi qui lui ai fait faire une robe de lampas qui vaut deux cents écus ! Mes filles vont épouser les MM. Gottlieb ; on ferait les trois noces ensemble ; tout était convenu... et cette péronnelle, cette pimbêche refuse !... »

Elle s’arrêta essoufflée.

« Mais, madame la baronne, dit la mère de Leyen, je vous prie, en quoi puis-je vous servir en cette occurrence ?

– Je viens vous prier, ma mère, de recevoir ma nièce au couvent et de la chapitrer comme il faut : j’ai fait tout le possible, je suis outrée, je la battrais si cela continuait.

– Envoyez-moi Mlle Sabine, dit la supérieure : je serais trop fâchée qu’elle fût battue. Nous examinerons l’affaire. Comment s’appelle le gentilhomme qu’elle refuse ?

– C’est le marquis de Malignac.