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mit à raconter mille histoires sur Versailles, se vantant d’être au mieux avec les princes, les ministres, le roi lui-même, et d’avoir eu l’honneur plusieurs fois de souper avec Mme la comtesse du Barry. L’intendant avait beau lui faire signe qu’il s’enferrait, l’admiration du petit chevalier, l’ébahissement des Gottlieb et de Mme de Haütern, et surtout un certain vin blanc dont il ne s’était pas méfié, activaient la faconde du marquis. Sabine l’écoutait en silence, admirant quelle avalanche de niaiseries peut sortir en un quart d’heure d’une bouche humaine. Les demoiselles de Haütern étaient complètement stupéfiées. L’intendante riait et s’amusait surtout du bel appétit des Gottlieb, que le petit secrétaire agaçait en vain.

Le souper fini, chaque cavalier offrit la main à une dame ; on passa dans le salon, et l’intendante, distribuant à chacun son rôle, mit son mari, la baronne, le secrétaire et le chevalier à une table de jeu, les Gottlieb et les demoiselles de Haütern à une autre, le marquis et Sabine devant un échiquier.

« Pour moi, dit-elle, je ferai galerie et je papillonnerai de l’un à l’autre. »

Les parties commencèrent ; mais, dès les premiers coups, Sabine s’aperçut que son adversaire connaissait à peine la marche des pièces. Elle lui fit voir qu’il avait mal placé sa reine.

« Pardon ! dit-il. Je suis troublé. Ah ! divine Sabine, on le serait à moins. Si vous saviez quelle partie je joue !

– C’est une partie d’échecs, je pense, dit Sabine froidement. C’est à vous de jouer, monsieur le marquis. »

Il prit une tour et lui fit faire le saut du cavalier. Sabine, n’osant rien dire, et pensant qu’il se remettrait, avança un pion.

« Mademoiselle, dit le marquis, dont la tête tournait un peu, vous rappelez-vous ce cher comte Braünn ?

– Certainement, Monsieur, il n’y a guère plus d’un an que j’ai perdu cet excellent ami. Je l’aimais comme un père. Vous l’avez connu, Monsieur ?

Et Sabine, attentive, regarda en face le marquis.

« Si je l’ai connu ? dit le marquis en balbutiant, Oui,