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marier. La même idée leur vint en même temps. Afin de ne pas rompre leur association fraternelle, il convenait qu’ils épousassent les deux sœurs, Itha et Thécla de Haütern, filles raisonnables, bien élevées, bien dotées, habituées par leur prudente mère à surveiller de près les domestiques, et qui, n’étant plus de la première jeunesse, feraient parfaitement leur affaire. Mais consentiraient-elles à porter un nom plébéien ? Elles avaient refusé déjà bien des partis. Elles étaient fières et hautes comme le temps. Les deux frères là-dessus se prirent à songer, bourrèrent de nouveau leurs pipes de faïence, restèrent en silence une heure ou deux, et décidèrent enfin que, dès le lendemain, ils prieraient un bon chanoine de leurs amis d’aller sonder le terrain en causant avec Mme de Haütern.

Le lendemain, en effet, le chanoine alla faire visite à Mme de Haütern, et n’eut pas de peine à lui démontrer quel bonheur ce serait pour elle de marier richement ses filles tout près d’elle. Si elle tenait à les voir titrées, rien n’était plus facile aux frères Gottlieb que d’acheter une terre ou deux en Allemagne et d’en prendre le nom. Les savonnettes à vilain n’étaient pas chose rare, et ce qui l’était, ajouta le chanoine, c’était la chance de marier également bien et en même temps deux filles déjà majeures. Mme de Haütern, en sa qualité de bonne ménagère, comprit cela, et, sûre du consentement de ses filles, qui s’ennuyaient fort à la maison, elle pria le chanoine d’assurer les Gottlieb de sa bonne volonté.

À peine fut-il parti, qu’on frappa à la porte de la rue, et Mme de Haütern, regardant le petit miroir espion placé près de sa fenêtre, y vit se réfléchir la chaise à porteurs et les laquais de Mme l’intendante. C’était elle, en effet, qui venait, en négligé coquet, causer confidentiellement avec la baronne.

« Elle vient de la part du marquis, c’est sûr, se dit Mme de Haütern. Ah ! comme je vais l’attraper. »

L’intendante venait, en effet, de la part de M. de Malignac, mais c’était pour demander Sabine en mariage.

Mme de Haütern jeta des cris d’étonnement.

« Mais, dit-elle, Sabine est pauvre comme Job. Si on croit