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V

LES VISITES


Le lendemain, le carrosse de Mme l’intendante roula dans Strasbourg, à la grande jubilation des Strasbourgeois. Excédée du silence de la ville, Mme l’intendante avait imaginé de faire garnir de grelots les harnais de ses chevaux isabelle. Ses laquais poudrés et enrubannés, en livrée couleur pêche, à galons bleu et argent, son cocher gros comme un muid, ses coureurs, et les cupidons voltigeants peints sur les panneaux du carrosse, complétaient les charmes de cet équipage galant ; aussi chaque sortie de l’intendante était-elle passée à l’état de réjouissance publique. Cette fois elle avait pris avec elle dans son carrosse, outre Lisette et son petit chien Brusquet, pomponné de rosettes bleues, le marquis de Malignac, tout habillé de velours vert-pomme, frisé, poudré, tiré à quatre épingles, et portant des boucles de souliers ornées de rubis et de perles fines. Il avait un joli chapeau sous son bras, un manchon d’hermine et une cravate de Malines des plus élégantes. Mme l’intendante, encore fort jolie malgré ses trente― six ans, portait une robe de damas lilas, bordée de martre, un mantelet et un manchon de même, et sur ses cheveux poudrés un charmant petit chapeau de velours vert à plumes de héron. Chacun de ses mouvements faisait jaillir un petit nuage de poudre et des effluves de parfums.

Les coureurs, précédant le carrosse, allèrent frapper à la porte de Mme de Haütern et annoncèrent leur maîtresse. À l’instant tout fut en mouvement pour recevoir cette belle visite. On attisa le feu, Mme de Haütern rajusta son bonnet, commanda à ses filles d’ôter leurs tabliers de soie et d’en