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Enfin le baron tomba malade, et vit bien qu’il allait mourir. C’était un homme fort brave, un chrétien solide. Il mit ordre à ses affaires de conscience, donna de la main à la main une aumône assez forte à son curé, et manda Me Zimmermann pour lui dicter son testament. On vint chercher mon patron en carrosse, et il m’emmena avec lui pour lui aider à descendre de voiture, car Me Zimmermann est fort gros et assez maladroit. Si nous buvions un coup, Monsieur ?

– Mettons un point », dit le marquis.

Il glissa dans la bourse un troisième écu.

« Le notaire fut introduit dans la chambre du baron, et on me laissa seul dans une antichambre. Je m’y ennuyais. J’avisai une petite porte dérobée, qui n’était fermée qu’au loquet ; je l’ouvris, je passai dans un couloir obscur, et j’arrivai dans un cabinet rempli d’engins de chasse, et qui n’était séparé de la chambre du malade que par une portière de tapisserie. Les voix du baron et du notaire m’arrivaient distinctement ; j’écoutai, et après une discussion assez confuse, j’entendis le baron dicter son testament. J’avais du papier et un crayon dans ma poche, j’écrivis à mesure tout ce qui concernait Mlle Sabine Lichtlin. J’ai conservé cette minute, jugeant qu’elle me vaudrait un jour quelque profit. Me suis-je trompé, Monsieur ?

– Cela dépend, dit le marquis. Est-elle exacte, et que dit-elle ?

– Elle est exacte et elle est à vendre, Monsieur. Vous saurez d’abord que ce baron était infiniment plus riche qu’on ne le croyait. Il venait tout justement d’apprendre qu’il héritait d’un oncle à lui, mort centenaire, sans tester, et dont la fortune était évaluée à un million. « J’ai attendu cet héritage longtemps, dit-il, et j’avais compté sur lui pour dégrever mes domaines ; il m’arrive au moment où je dois tout quitter. Je veux du moins qu’il appartienne à la seule personne qui m’ait consolé dans mon isolement. Mais Sabine est sous la domination d’une femme égoïste, incapable de l’apprécier et de la diriger. Je veux que ma fortune ne lui soit remise que le jour où elle sera libre, le jour où elle aura vingt et un ans, le 1er mai 1770. » L’histoire vous parait-elle jolie monsieur le marquis ?