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Elle n’avait pas encore dansé, occupée qu’elle était à recevoir ses hôtes, lorsqu’on la vit accepter l’invitation du plus étrange masque de la compagnie. C’était un if, un if de feuillage, comme ceux de la terrasse de Versailles, taillé en pion d’échec, et qui depuis une demi-heure circulait dans les salons et répondait gaiement et d’un accent gascon aux questions qui lui étaient adressées. Le treillis feuillé qui enveloppait ce personnage était si bien ajusté, qu’on ne pouvait distinguer ses traits. Il paraissait jeune, de vive et pimpante allure, et, lorsque l’orchestre commença les premières mesures d’un menuet, toute la compagnie fit cercle, et l’on monta même sur les banquettes pour voir Mme l’intendante danser avec cet arbre. Ils dansèrent à merveille. Les mains qui sortirent du feuillage pour effleurer celles de Junon étaient fines et blanches, ornées d’une chevalière de rubis, et il n’y eut qu’une voix pour louer la grâce et l’élégance de M. l’If.

Sitôt que Mme l’intendante eut repris sa place, un officier habillé en Arlequin s’avança vers elle en faisant mille courbettes et lui dit : « Souveraine des dieux, Votre Majesté a dansé divinement ; mais, de grâce, est-ce Apollon, est-ce Mercure aux pieds ailés qui se cache sous cette verte enveloppe ?

– Ce n’est ni l’un ni l’autre, Arlequin, mon ami, reprit la déesse. C’est un if de Versailles que le roi m’a envoyé. Je le ferai planter demain sur l’esplanade.

– Ce sera pour Strasbourg un grand honneur », dit Arlequin.

Il se creusa la tête un instant pour dire encore quelque chose de galant, mais, nul madrigal ne lui venant à l’esprit, cet honnête Arlequin alla rejoindre Colombine, qui, vexée de l’avoir vu parler de si près à Junon, lui lit une moue effroyable. Une valse commençait. L’if invita Thécla de Haütern. Déconcertée de se voir regardée par tout le monde, elle devint cramoisie, ne fit que deux tours, et voulut s’asseoir. L’If prit une autre danseuse. Une de ses branches accrocha les dentelles de la dame, qui se fâcha et ne voulut plus valser. L’if, alors, profitant de ce que les tourbillons de la valse occupaient toute la jeunesse, s’éclipsa