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quets frivoles des voisines de campagne de Mme de Haütern. Elle se sentait dans le monde pauvre et isolée, et d’ailleurs elle jouissait auprès du vieux mélomane d’un plaisir toujours cher et nouveau pour un noble cœur, celui de rendre heureux quelqu’un.

Quand il était las de musique, le comte, se faisant rouler dans un fauteuil, promenait Sabine par tout son château et son parc, et ne la laissait jamais repartir sans un présent de fruits, de fleurs ou de gibier.

Aux dernières vacances de Sabine ; il mourut, et elle le pleura comme un père. On ne connaissait pas d’héritiers au comte. Un écrit de sa main, trouvé après sa mort, déclarait qu’il avait fait un testament, mais que ce testament ne serait ouvert que le 1er mai 1770. Jusque-là, ses biens devaient être administrés par son intendant, autrefois son sergent au régiment de Royal-Alsace, homme d’une probité rare.

On était en 1769. Ces dispositions singulières firent jaser, puis on n’y songea plus. Le comte n’était pas très riche, et l’on disait ses biens fort grevés et ses affaires en désordre.

Une seule personne continua de songer à lui avec reconnaissance et attendit impatiemment le 1er mai 1770. C’était Sabine. Elle avait bien remarqué que le 1er mai était le jour où elle aurait vingt et un ans. Mais quel était ce personnage mystérieux qui l’aimait et deviendrait son mari ?

Elle avait beau rassembler ses souvenirs, elle ne se rappelait de rien qui pût la mettre sur la voie. Mais enfin elle ne pouvait douter de la parole de son vieil ami, et cette voix d’outre-tombe, qui lui disait qu’elle était aimée, consolait l’orpheline des dédains et de la froideur dont l’accablaient Mme de Haütern et ses filles.

Pour la millième fois elle relut cette lettre, regarda sa bague, et, comptant les jours, vit que trois semaines à peine s’écouleraient jusqu’au 1er mai.

Elle regarda aussi les fleurs, les images et les petites lettres d’amies, vestiges de son long séjour à la Visitation, se rappela vaguement le moment où, toute petite et orpheline de père et de mère, on l’avait apportée à Mme de Haütern, qui avait dit :