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– Rien de plus simple. Ma cousine Lisette est première femme de chambre de Mme l’intendante. Elle m’a donné une clef de la porte du jardin. J’ai un beau domino de soie tout prêt ; je l’endosse, je me glisse dans le jardin, de là dans le vestibule, et j’entre parmi la foule des invités. Je me promène dans les salons, je vois les beaux masques, j’en intrigue quelques-uns, et quand j’en ai assez, je m’échappe, non sans avoir vérifié si le buffet est convenablement garni.

– Tu es bien heureux, dit Jack. C’est fort agréable de s’entendre avec une cousine si avisée. Mais comment cela pourra-t-il nous faire entrer au bal ?

– Parbleu, rien de plus simple ! Vous m’attendrez chez Johann, à la taverne de l’Aigle-d’Or. Quand j’en aurai assez, je sortirai, je prêterai mon domino à Jack ; il entrera, et quand, il aura suffisamment soupé et regardé les danseurs, il ressortira et prêtera le domino à Heinrich ; rien de plus simple. Cela s’est fait à Versailles, aux noces du Dauphin. Pendant le bal masqué qui fut donné aux grandes écuries du roi, un domino jaune étonnait tout le monde par sa voracité. Il engloutissait les rafraîchissements et les vivres, sortait un instant, revenait et se remettait à dévorer. On finit par découvrir que ce domino jaune, c’étaient les Cent-Suisses. Le colonel voulait punir, le roi fit grâce, et toute la cour rit de l’aventure. Faisons de même. Après tout, nous ne sommes pas cent, et voyez comme mon domino bleu est joli ! »

Enchantés, les trois étourdis se hâtèrent de se préparer. Ne voulant pas ébruiter leur escapade, ils se rasèrent et se coiffèrent mutuellement, s’inondèrent d’eau de Cologne et se chaussèrent d’escarpins que Fritz avait achetés pour eux. Tout en s’adonisant ainsi, ils bavardaient comme des pies dénichées, et se faisaient part de tous les commérages qui pourraient leur servir à intriguer les invités de l’intendance. Grâce à leur humeur curieuse et tracassière et aux indiscrétions qu’ils commettaient journellement dans les études de leurs patrons, ces clercs équivalaient à trois gazettes. Ils en étaient au plus animé de leur caquet, lorsque Heinrich, s’approchent de la fenêtre, jeta un coup d’œil sur l’hôtel de Haütern et s’écria :