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put imaginer avec l’aide de sa couturière, de sa modiste et des jeunes filles elles-mêmes, ravies d’aller danser avec un petit masque de satin pendu à l’oreille.

Ce soir-là, Mme l’intendante rentra chez elle très lasse, et déclara à M. son mari qu’elle avait une migraine épouvantable à force d’avoir menti. Elle avait, en effet, conté à une douzaine de mères de famille la même histoire qu’à Mme de Haütern, et les jeunes officiers qu’elle devait marier se réduisaient à un, qui ne s’en souciait guère. Mais, que voulez-vous ! dit-elle, ces Strasbourgeoises sont tellement collet monté, que si je n’avais pas imaginé cette fable, nous n’aurions pas eu de danseuses. »

M. l’intendant essaya de gronder sa femme, mais elle lui dit qu’il faisait bien d’autres menteries quand il se débarrassait des solliciteurs avec de l’eau bénite de cour. Il en convint, et, sans plus songer à cette bagatelle, les deux époux allèrent souper le mieux qu’ils purent, tout en se disant qu’ils aimeraient bien mieux être à la cour que dans ce pays gothique et à moitié tudesque.

Pendant quinze jours toutes les ouvrières en robes, en fleurs et en broderies de Strasbourg furent accablées d’ouvrage. C’était à qui imaginerait les plus riches, les plus galants travestissements. Chaque élégante voulait avoir un costume unique ; aussi les mystères, les serments et les cachotteries furent-ils prodigués. Plusieurs belles dames eurent même l’invention machiavélique de se faire confectionner des habits de bal à Strasbourg, tandis qu’elles en avaient commandé d’autres à Paris. De cette façon, elles furent assurées d’étonner, d’éblouir et surtout de vexer leurs bonnes amies.

Le jour du bal arriva, et il n’était guère de maisons dans Strasbourg où il n’en fût parlé. En face de l’hôtel qu’habitait Mme de Haütern, demeurait un vieux notaire, veuf, dont le ménage était gouverné par une servante assez acariâtre, nommée Cunégonde. Elle vivait en guerre perpétuelle avec les clercs de Me Zimmermann, lequel en changeait souvent sans jamais en trouver qui eussent le bonheur de plaire à cette vieille furie. Cette année-là il en avait trois. Le plus