il craignait des rencontres humiliantes, et c’était pour lui une heure de honte et de tremblement.
Les villageois glosaient de plus belle. Quelques-uns pourtant commençaient à le plaindre au fond, et, à l’époque où on tue le cochon, Coste eut le plaisir de recevoir en cadeau deux ou trois livres de lard et des ronds de saucisse.
M. Rastel, que le froid avait chassé de son mas, évitait l’instituteur : s’il est malheureux, songeait-il, tant pis pour lui ! Le regret de son écharpe perdue à jamais s’était accru à un tel point, dans l’isolement où il avait vécu jusqu’en novembre, qu’il ne pardonnait pas à Coste, « ce maladroit », et s’obstinait, bien à tort, à le considérer comme la seule cause de son échec.
« Si j’avais pu mieux compter sur lui, pensait-il, jamais je n’aurais abandonné la lutte et je serais encore le maître. »
Quelques sympathies — mais si rares ! — restaient au malheureux garçon. L’institutrice et le curé entre autres auraient voulu venir en aide à Coste. Mais celui-ci avait, avec eux, l’orgueil de sa misère. Quoique très touché des gâteries et des petits cadeaux qu’envoyaient aux enfants Mlle Bonniol et l’abbé Clozel, il refusa toute avance d’argent. Du moment qu’il savait ne pouvoir le rendre, un prêt lui paraissait une véritable aumône.
Les fournisseurs se montraient pourtant plus pressants, plus hostiles. A chaque fin de mois, malgré son bon vouloir, Coste n’arrivait point à les contenter tous. Les soixante-dix neuf francs coulaient entre ses doigts, surtout lorsqu’il avait mis de côté une petite somme pour les dépenses imprévues, le salaire de la femme de ménage et les médicaments de Louise. Il se débattait dans une situation inextricable, avec cette obsession qu’elle ne prendrait jamais fin. Ses élèves étaient moins soumis ; ils n’avaient plus aucun respect pour ce maître dont ils entendaient parler chez eux comme d’un gueux criblé de dettes.