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grande cuisine de maîtresse Gilles. On n’entendait que le bruit sec des sabots qui frappaient l’aire ou le tic-tac monotone du balancier de l’horloge. Mais voilà qu’une rumeur extraordinaire, accompagnée de convulsions, éclate soudain dans cette petite boîte carrée, comme si l’être animé qu’elle semblait retenir prisonnier entre ses parois eût voulu briser ses chaînes… et midi sonna. Ce fut comme un coup de théâtre, — car c’était l’heure du dîner — et maîtresse Gilles remplit à elle seule de son mouvement toutes les parties de son immense cuisine. Les assiettes, qu’on aurait pu considérer comme les pièces principales d’un vaste échiquier, s’alignèrent sur les bords de la table ; les couteaux et les fourchettes se placèrent à leur droite, en guise de cavaliers ; les verres se posèrent carrément en tête, sur la première ligne, en guise de pions, et les pots de cidre furent plantés comme des tours aux quatre coins de la table. Lorsqu’elle vit arriver les hommes de journée, maîtresse Gilles apporta la soupière, d’où sortait un épais nuage de fumée. Mais personne n’y toucha ; on attendait le fermier et son fils. Enfin maître Gilles parut. Sa physionomie n’avait rien de rassurant ; sa bouche, fendue évidemment