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Enfin, auprès de Lignerac lui-même son crédit était épuisé. Voyant qu’il ne pourrait jamais être remboursé des sommes qu’il lui avait avancées au départ d’Agen et qui se montaient à plus de 10.000 livres, le bailli d’Auvergne fit main basse sur les bijoux de la Reine. Une scène terrible éclata entre eux. À peine Marguerite put-elle sauver quelques bagues qu’elle envoya de suite à des banquiers de Lyon, les sieurs Manelli et Ricardi, d’origine florentine, mais qui la volèrent effrontément. L’infortunée princesse écrivit au grand duc de Florence pour se plaindre « de la volerie et très grande perfidie que quelques banquiers de Lyon, ses subjects, se sont advissez de lui faire, et le supplie de lui venir en ayde[1]. » On ne sait s’il parvint à les lui faire rendre.

De la violence Lignerac passa à la jalousie. La peste survenant en ce pays d’Auvergne, ce qui, d’après certains écrivains modernes, fut la seule cause du départ subit de Carlat de la Reine Marguerite[2], le gouverneur du château, le capitaine de Marzé, vint subitement à mourir. Les ennemis de Marguerite, et après eux Bayle, Dulaure, le Divorce satyrique, l’accusèrent de l’avoir empoisonné pour rester maîtresse de la place. D’autres prétendent que ce fut son frère, jaloux de lui ; d’autres encore qu’il mourut simplement de la contagion. En tous cas, la Reine de Navarre perdait en lui son plus ferme soutien, son plus chaud défenseur.

Quelques jours plus tard, nouveau drame dans la chambre même de Marguerite. Lignerac y entre de grand matin, trouve près du lit de la Reine le fils de son apothicaire, et dans un accès de rage folle le poignarde instantanément. C’est du moins ce qu’écrit, le 19 juillet, dom Bernardino de Mendoça, ambassadeur d’Espagne, à Philippe II : « … Entiendo que la Reyna Madre se lamentana poco ha con Silvio del aver muerto apunalada M. de Lenerac, en el mismo aposento de la Princessa de Bearne, aun hijo de un boticario tan cerca de su cama que se mancho con lo sangue y dezia se ser por zelos, que era lo peor[3]. »

Mais à ce moment entre en scène un autre personnage, qui n’a jusqu’à présent joué qu’un rôle secondaire et dont l’influence va attirer sur Marguerite de nouveaux malheurs. Ce personnage c’est Aubiac.

  1. Archives des Médicis, dalla Filza. No 4.726, p. 509. — Cf. : Trois Amoureuses au XVIe siècle. Appendice F.
  2. Vicomte de Sartiges. Oper. cit.
  3. Archives nationales, K. 1564, B. 57, pièce 124. Coll. Simancas.