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Et, le lendemain : « Il n’y a donc plus de justice au ciel, ni de fidélité en la terre ! Ô Dieux ! qu’est-ce qu’il faut que mon âme connoisse et que ma langue avoue ? Ma douleur, le sens et le trop de subject de me plaindre otent le moyen à ma plume d’exprimer mon trop juste ennuy… Triomphez de ma sincère et trop ardente amour. Vantez-vous de m’avoir trompée ; riez-en, et vous en moquez avec celle de quy je reçoy cette seule consolation, que son peu de mérite vous sera un juste remords de vostre tort. Je croitray le nombre de celles qui à la postérité tesmoigneront la perfidie de vostre sexe… Par telle connoissance, le dédain s’engendrant en moy en a banny l’amour, que vous ne vous devez pas faire accroire y pouvoir jamais faire renoistre. » Et, appelant de tous ses vœux la mort : « Comment que ce soit qu’elle arrive, qu’elle hate ses pas ; je la désire, je la souhaite, et supplie les Dieux m’avancer son trop lent secours. Je vous supplie, en recevant celle-cy pour la dernière, me la renvoyer soudain avec celle que je vous escrivis hier ; car je ne veulx qu’à ceste belle entreveue que vous ferez à ce soir, elles servent de subject au père et à la fille de discourir à mes despens. M.[1] »

Tout semblait donc fini entre Marguerite et son amant, qui, une fois marié, revint prendre sa place de grand écuyer auprès du duc d’Anjou, alors à Anvers. En même temps, le 27 mai, le Roi quittait Paris et se rendait à Mézières « pour se faire apporter de l’eau de la fontaine de Spa[2]. »

Que se passa-t-il à ce moment entre Chanvallon et son maître ? Se vanta-t-il auprès de lui de son ancienne bonne fortune ? Trahit-il, sous les rapports politiques, la confiance dont il avait été investi ? Toujours est-il que le duc d’Anjou le chassa brutalement et que Chanvallon, fort piteux, plutôt que de se retirer auprès de sa femme dans sa principauté de Sedan, préféra s’en retourner à Paris, où il vint se jeter aux pieds de Marguerite.

Marguerite, naturellement, lui pardonna ; et, sans nul souci du danger qu’elle courait et faisait courir à son amant, elle renoua publiquement avec lui.

Une nouvelle série de lettres fut alors échangée entre eux, toutes plus brûlantes encore de la main de Marguerite.

  1. Bibl. de l’Arsenal. Recueil de Conrard, t. v, p. 126. — Cf. : Guessard, p. 456.
  2. Journal de l’Estoile.