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Et, bien qu’Henri de Navarre soit pris pour le moment dans les filets de l’astucieuse Madame de Sauves, bien que Marguerite, l’âme de toutes les fêtes du Louvre, se montre plus que coquette avec de très nombreux adorateurs, les apparences sont conservées. Malgré quelques brouilles passagères, suscitées par la méchanceté du Roi et la haine de du Guast, la politique, à défaut de l’amour, réunit souvent les deux époux ; et, ce n’est pas sans une certaine tristesse qu’un matin de février 1576 la reine de Navarre apprend la fuite de son mari. On sait comment le Béarnais parvint à tromper la surveillance d’Henri III et de Catherine et comment, sous le prétexte d’une chasse dans la forêt de Senlis, il s’échappa du Louvre avec quelques amis fidèles, gagna Alençon et, après mille dangers, se retira dans ses États. « Et, se levant avant que je fusse éveillée, écrit Marguerite dans ses Mémoires, pour se trouver, comme j’ay dict cy-devant, au lever de Madame ma mère où Madame de Sauve alloit, il ne se souvenoit point de parler à moy, comme il avoit promis à mon frère, et partit de ceste façon sans me dire à Dieu[1]. »

Restée seule au Louvre, « suspecte aux Huguenots parce que j’estois catholique et aux catholiques parce que j’avois espousé le roy de Navarre, » ses Mémoires nous apprennent ce qu’elle eut à souffrir de l’animosité de sa mère et des violences du Roi son frère, rejetant sur elle, non sans quelque raison, toute la responsabilité de cet évènement qui contrariait si fort leurs projets. Vainement Marguerite se défend de n’avoir été pour rien dans l’évasion de son mari, qui, ne cesse-t-elle de le répéter, est parti sans rien lui dire : « Ce sont petites querelles de mary à femme, répond Catherine ; mais on sçait bien qu’avec doulces lettres, il vous regaignera le cœur, et que, s’il vous mande l’aller trouver, vous y irez, ce que le roy mon fils ne veult pas[2]. »

Pour occuper sa solitude, Marguerite s’adonna aux Lettres : « Je receus ces deux biens de la tristesse et de la solitude, à ma première captivité, de me plaire à l’estude et m’adonner à la dévotion, biens que je n’eusse jamais goustés entre les vanitez et magnificence de ma prospère fortune[3]. »

  1. Mémoires de Marguerite, édit. Charpentier, p. 94. — Idem : Journal de l’Estoile, etc., etc.
  2. Idem, p. 103.
  3. Idem. p. 106.