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toute triomphante, encore jeune, élégante, adulée, et pas le moins du

monde démodée. Ses toilettes font loi dans tout son entourage ; son esprit est plus apprécié que jamais ; son appui, sa protection recherchés comme aux plus beaux jours d’antan.

Et sa joie est grande, sincère. Elle ne la cache point à son mari, à qui elle continue d’envoyer le bilan de toutes les conversations, le résumé de tous les bavardages de la Cour. Elle lui dit aussi comment elle a retrouvé Henri de Guise…

« Ils m’ont tenu beaucoup d’honneste langage et pour vous et pour moy. Quant à M. de Genevois, je n’ay point parlé à luy. Il s’en faut beaucoup qu’il soit ce que l’on nous avoit dict de Monsieur du Maine. Il est si étrangement engraissé qu’il en est difforme. Monsieur de Guise est fort enmaigri et vieilli. Ils sont pour l’humeur tels que les avez vus, sinon qu’ils sont un peu plus estonnés. Ils sont peu suivis et font souvent des parties de paume, de balle, de pale malle pour attirer la noblesse ; mais ceux qui y vont deux fois se peuvent assurer d’avoir la réprimande, qui fait congnoistre qu’il y a de la jalousie entre les ducs et eux. »

Et commençant d’insister, fidèle en cela aux instructions de sa mère et aussi du Roi son frère, pour que son mari revienne à la Cour, elle continue, insidieuse et fort éloquente :

« Si vous estiez icy, vous seriez celuy de qui les uns et les aultres dépendroient ; car chacun s’y offre ; et de craindre ceux de Guise, croyez qu’ils n’ont nul crédit ni moyen de vous faire mal ; et du Roy, je mettrai toujours ma vie en gage que vous n’en recevrez poinct de luy. Vous regagnerez les serviteurs que vous avez par la longueur de ces troubles perdus, et en acquerrez plus en huict jours, estant ici, que vous ne feriez en toute votre vie, demeurant en Gascogne. Vous y pourrez avoir des dons du Roy, pour accomodé vos affaires et pourrez plus faire pour ceux de vostre party par une parole, estant, comme vous y serez, bien auprès du Roy, que tous ceux qui s’y emploieront ne sauraient faire par leurs sollicitations. Il est très nécessaire pour toutes ces raisons que vous y fassiez au moins un voyage, ce que vous pouvez sans hazard. Je vous supplie très humblement prendre cecy comme de la personne du monde qui vous aime le plus et désire le plus vostre bien, ce que j’espère que l’expérience vous fera connaistre[1]. »

  1. Bibl. nat. Autographe, Fonds Dupuy, t. 217, fol. 22. — Cf. : Guessard, p. 284, lequel date faussement cette lettre « des premiers jours de mars 1582, aussitôt, dit-il,