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pour l’indignité que vous me feriez et pour la reputation que j’en

acquerrois. Vous m’escrivez, Monsieur, que pour fermer la bouche au Roy, aux Roynes ou à ceulx qui m’en parleront que je leur dise que vous l’aimiez et que je l’aime pour cela : ceste response seroit bonne, parlant d’un de vos serviteurs ou servantes, mais de vostre maistresse ! Si j’étois née de condition indigne de l’honneur d’estre vostre femme, ceste response ne me seroit mauvoise ; mais estant telle que je suis, elle me seroit très mal seante ; aussi m’empescherai-je bien de le faire.

« Vous dictes, Monsieur, que vous vous doubtiez bien de ce que vous voyez, mais que je vous doibs plus contenter que ses ennemys. Vous aviez bien raison, Monsieur, de juger que son malheur estant divulgué partout comme il l’est, je ne la pourrois pas tenir estant chose qui ne s’est jamais veue. Car les Roynes en ont eu à qui cet accident est arrivé ; mais elles les ont soudain ostées. Ce n’estoit aussy sans sujet que vous croiez que je vous debvois contenter, en ayant les preuves que vous avez : ayant souffert ce que, je ne dirai pas princesse, mais jamais simple damoiselle ne souffrit, l’ayant secourue, caché sa faute et toujours depuis tenue avec moy. Si vous n’appelez cela vous vouloir contenter, certes, je ne sais pas comme vous le pouvez entendre.

« De ses parents, je ne vous en ay rien escript que ce que elle, M. de Chastellerault et ung de ses oncles m’en ont dict. S’ils sont offensés de vous et s’ils en ont occasion, je m’en rapporte à ce qui en est. Sy vous ne luy faictes du bien, je lui en feray pour la marier et auray soin qu’elle soit à son aise et qu’elle ne reçoive aucun desplaisir, pour le desir que j’ay de servir à vos vollontés, non pour crainte que j’aye des menaces de vostre lettre, où vous dictes que qui fera desplaisir à vostre fille vous en fera ; car fesant ce que je dois, j’auray toujours asseurance en la vérité et en la raison qui seront pour moy, et qui, pour le temps et ma patience, vous feront quelque jour congnoitre combien une affection et une fidelité, telle que je l’ay à vostre service, se doibt priser.

Je congnois bien mon incapacité, à quoy mon bon zèle ne sçauroit assez suppléer, et sçois qu’en affaires d’État une femme ignorante et sotte comme moy y peut faire beaucoup d’erreurs. Pour ceste cause, s’il vous plaisoit envoier icy quelqu’un de vos serviteurs de la suffisance duquel vous eussiés plus d’asseurance, il vous sauroit trop mieux representer toutes choses ; aussy bien n’ay-je que trop d’empeschement pour mes affaires particulières que