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peines et couper la monotonie de ces longues journées d’été, écrit à

l’objet de sa flamme, et, dans ce style « de haute métaphysique et de pur Phœbus, comme le fait remarquer très judicieusement Sainte-Beuve, en ces termes presque inintelligibles et des plus ridicules », qui contrastent si fort avec « la distinction et la finesse » de ses Mémoires[1], elle raconte ainsi à Chanvallon comment elle pense à lui et remplit de son image tous les lieux qu’elle parcourt :

« … Ainsi suis-je réduite en ce désert, où j’envie l’heur de ces montagnes hautes qui de leur ciel ont si proche la teste. Je vis, sans divertissement, en la continuelle contemplation de mon souverain bien, en attendant l’heure de ma béatitude. Lieu plus propre ne me pouvoit estre destiné. Si tant de perfections, mon beau cœur, ne me faisoyent tenir pour résolu que vous estes divin estre à qui rien n’est inconnu, je vous dirois que les plus durs rochers, où en mille et mille lieux j’ay gravé votre nom, vos beautez et mes passions vous pourroient tesmoigner si mon âme est de ces âmes de cire que le temps et l’absence changent et rechangent tous les jours en cent diverses formes. L’Éco de ces caverneuses montagnes seroit importunée de ma voix et de mes soupirs, si elle avoit autre cause que son beau Narcisse, qui faict qu’elle me répond, mais avec telle rage désespérée de me voir posséder ce qui luy a toujours esté cruel, qu’il n’y a tonnerre qui si longtemps garde son son, que l’on l’oyt bruire et gronder, mêlant ses cris à l’horrible bruit d’un torrent impetueux et effroyable qui passe au pié de sa demeure, que je crains faire bientost desborder par l’abondance de mes larmes, etc.[2]. »

Au bout d’un mois ou cinq semaines, écrit toujours Marguerite, le roy son mari revint avec Fosseuse et ses aultres compagnes, la chercher à Bagnères, avec l’intention bien arrêtée de la conduire à Pau. « Mais il sçut de quelqu’un de ces seigneurs qui estoient avec moy l’ennuy où j’estois pour la crainte que j’avois d’aller à Pau, qui fut cause qu’il ne me pressa pas tant d’y aller, et me dit seulement qu’il eust bien désiré que je l’eusse voulu. Mais, voyant que mes larmes et mes paroles luy disoient ensemble que j’eslirois plustost la mort, il changea de dessein, et retournasmes à Nérac. »

  1. Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, t. vi, p. 148 : La Reine Marguerite.
  2. Bibl. de l’Arsenal. Recueil de Conrard, t. v, p. 113. — Cf. : Guessard, Lettres de Marguerite, p. 446-447. Cet éditeur semble ignorer que cette lettre ait été écrite de Bagnères ; et il la reproduit ainsi que les suivantes, sans aucun commentaire.