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avec autant d’honneur et de vertu que si elle eust toujours continué

de ceste façon, elle ne fust tombée au malheur qui depuis, luy en a tant apporté et à moy aussi. »

Le duc d’Anjou à son tour la remarqua. Nous avons dit comment Marguerite le fit renoncer facilement à ce caprice qui, s’il avait duré, aurait singulièrement augmenté les difficultés. Fosseuse du reste donna la préférence au Roi de Navarre. « Elle aimait extremement le roy mon mary, nous apprend Marguerite ; toutesfois jusques alors ne luy avait permis que les privautés que l’honnesteté peut permettre. Mais pour luy oster la jalousie qu’il avait de mon frère et luy faire cognoistre qu’elle n’aimait que luy, elle s’abandonna tellement à le contenter en tout ce qu’il vouloit d’elle, que le malheur fut si grand qu’elle devint grosse. Lors, se sentant en cet estat, elle change toute de façon de procéder avec moy, et au lieu qu’elle avoit accoustumé d’y estre libre et de me rendre, à l’endroict du roy mon mary, tous les bons offices qu’elle pouvoit, elle commence à se cacher de moy et à me rendre autant de mauvais offices qu’elle m’en avoit faict de bons. Elle possédoit de sorte le roy mon mary qu’en peu de tems je le cognus tout changé. Il s’estrangeoit de moy, il se cachoit et n’avoit plus ma présence si agréable qu’il avoit eue les quatre ou cinq heureuses années que j’avois passées avec luy en Gascogne, pendant que Fosseuse s’y gouvernoit avec honneur[1]. »

Les temps, on le voit, sont bien changés depuis un an à la Cour de Nérac. Les dépenses ne s’y présentent plus les mêmes, du moins du côté de Marguerite[2]. Au lieu de toilettes éclatantes, ce sont des achats de livres : un Plutarque, les Mémoires de du Bellay, l’Histoire de France par du Haillon, les discours de Cicéron, un dictionnaire grec-latin-français, etc., et s’il faut acheter des étoffes, c’est moins pour elle et ses filles que pour les bonnes religieuses du Paravis qu’elle n’oublie pas et à qui elle envoie, ce mois de mai, « dix aulnes et demie de treillis noir pour doubler une chasuble, une estolle, un phanon et un parement d’autel de toile d’argent et de soye noire, le tout se montant à la somme de 3 escus sols, 51 sols[3].

  1. Mémoires de Marguerite.
  2. Archives nationales, KK. 167 et 168, et Archives des Basses-Pyrénées, B., 2495-2547.
  3. Archives nationales, KK. 168, p. 395.