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tras ces linges dans la chambre voisine. Si la blanchisseuse revient ce soir, comme elle doit le faire, tu les lui remettras ; mais, comme il a plu beaucoup depuis une heure, et qu’il continue de pleuvoir, je ne crois pas qu’elle sorte de chez elle ; alors, elle viendra demain matin. Si elle te demande d’où vient tout ce sang, tu n’es pas obligé de lui répondre. Oh ! que je suis faible ! N’importe ; j’aurai cependant la force de soulever le porte-plume, et le courage de creuser ma pensée. Qu’a-t-il rapporté au Créateur de me tracasser, comme si j’étais un enfant, par un orage qui porte la foudre ? Je n’en persiste pas moins dans ma résolution d’écrire. Ces bandelettes m’embêtent, et l’atmosphère de ma chambre respire le sang…


Qu’il n’arrive pas le jour où, Lohengrin et moi, nous passerons dans la rue, l’un à côté de l’autre, sans nous regarder, en nous frôlant le coude, comme deux passants pressés ! Oh ! qu’on me laisse fuir à jamais loin de cette supposition ! L’Éternel a créé le monde tel qu’il est : il montrerait beaucoup de sagesse si, pendant le temps strictement nécessaire pour briser d’un coup de marteau la tête d’une femme, il oubliait sa majesté sidérale, afin de nous révéler les mystères au milieu desquels notre existence étouffe, comme un poisson au fond d’une barque.