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gypse littéraire, je veux au moins que le lecteur en deuil puisse se dire : « Il faut lui rendre justice. Il m’a beaucoup crétinisé. Que n’aurait-il pas fait, s’il eût pu vivre davantage ! c’est le meilleur professeur d’hypnotisme que je connaisse ! » On gravera ces quelques mots touchants sur le marbre de ma tombe, et mes mânes seront satisfaits ! — Je continue ! Il y avait une queue de poisson qui remuait au fond d’un trou, à côté d’une botte éculée. Il n’était pas naturel de se demander : « Où est le poisson ? Je ne vois que la queue qui remue. » Car, puisque, précisément, l’on avouait implicitement ne pas apercevoir le poisson, c’est qu’en réalité il n’y était pas. La pluie avait laissé quelques gouttes d’eau au fond de cet entonnoir, creusé dans le sable. Quant à la botte éculée, quelques-uns ont pensé depuis qu’elle provenait de quelque abandon volontaire. Le crabe tourteau, par la puissance divine, devait renaître de ses atomes résolus. Il retira du puits la queue de poisson et lui promit de la rattacher à son corps perdu, si elle annonçait au Créateur l’impuissance de son mandataire à dominer les vagues en fureur de la mer maldororienne. Il lui prêta deux ailes d’albatros, et la queue de poisson prit son essor. Mais elle s’envola vers la demeure du renégat, pour lui raconter ce qui se passait et trahir le crabe tourteau. Celui-ci devina le projet de l’espion, et, avant que le troisième jour fût parvenu à sa fin, il perça la queue du poisson d’une