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sévère et sa mère trop majestueuse. Il possède des raisons qui ne sont pas parvenues à ma connaissance et que, par conséquent, je ne pourrais vous transmettre, pour insinuer que ses frères ne lui conviennent pas non plus. Il cache cette lettre dans sa poitrine. Ses professeurs ont observé que ce jour-là il n’a pas ressemblé à lui-même ; ses yeux se sont assombris démesurément, et le voile de la réflexion excessive s’est abaissé sur la région péri-orbitaire. Chaque professeur a rougi, de crainte de ne pas se trouver à la hauteur intellectuelle de son élève, et, cependant, celui-ci, pour la première fois, a négligé ses devoirs et n’a pas travaillé. Le soir, la famille s’est réunie dans la salle à manger, décorée de portraits antiques. Mervyn admire les plats chargés de viandes succulentes et les fruits odoriférants, mais, il ne mange pas ; les polychrômes ruissellements des vins du Rhin et le rubis mousseux du champagne s’enchâssent dans les étroites et hautes coupes de pierre de Bohême, et laissent même sa vue indifférente. Il appuie son coude sur la table, et reste absorbé dans ses pensées comme un somnambule. Le commodore, au visage boucané par l’écume de la mer, se penche à l’oreille de son épouse : « L’aîné a changé de caractère, depuis le jour de la crise ; il n’était déjà que trop porté aux idées absurdes ; aujourd’hui il rêvasse encore plus de coutume. Mais enfin, je n’étais pas comme cela, moi, lorsque j’avais son âge. Fais