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à mon tour, et que je ne porte contre toi une récrimination qui serait certainement approuvée par le jugement du serpentaire reptilivore. Quelle monstrueuse aberration de l’imagination t’empêche de me reconnaître ! Tu ne te rappelles donc pas les services importants que je t’ai rendus, par la gratification d’une existence que je fis émerger du chaos, et, de ton côté, le vœu, à jamais inoubliable, de ne pas déserter mon drapeau, afin de me rester fidèle jusqu’à la mort ? Quand tu étais enfant (ton intelligence était alors dans sa plus belle phase), le premier, tu grimpais sur la colline, avec la vitesse de l’izard, pour saluer, par un geste de ta petite main, les multicolores rayons de l’aurore naissante. Les notes de ta voix jaillissaient, de son larynx sonore, comme des perles diamantines, et résolvaient leurs collectives personnalités, dans l’agrégation vibrante d’un long hymne d’adoration. Maintenant, tu rejettes à tes pieds, comme un haillon souillé de boue, la longanimité dont j’ai fait trop longtemps preuve. La reconnaissance a vu ses racines se dessécher, comme le lit d’une mare ; mais, à sa place, l’ambition a crû dans des proportions qu’il me serait pénible de qualifier. Quel est-il, celui qui m’écoute, pour avoir une telle confiance dans l’abus de sa propre faiblesse ?

— Et qui es-tu, toi-même, substance audacieuse ? Non !… non !… je ne me trompe pas ; et, malgré les métamorphoses multiples auxquelles tu as recours,