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regarde l’horizon, qui s’enfuit à notre approche. À mon tour, je m’efforce de lui rappeler sa jeunesse dorée, qui ne demande qu’à s’avancer dans les palais des plaisirs, comme une reine ; mais, il remarque que mes paroles sortent difficilement de ma bouche amaigrie, et que les années de mon propre printemps ont passé, tristes et glaciales, comme un rêve implacable qui promène, sur les tables des banquets, et sur les lits de satin, où sommeille la pâle prêtresse d’amour, payée avec les miroitements de l’or, les voluptés amères du désenchantement, les rides pestilentielles de la vieillesse, les effarements de la solitude et les flambeaux de la douleur. Voyant mes manœuvres inutiles, je ne m’étonne pas de ne pas pouvoir le rendre heureux ; le Tout-Puissant m’apparaît revêtu de ses instruments de torture, dans toute l’auréole resplendissante de son horreur ; je détourne les yeux et regarde l’horizon qui s’enfuit à notre approche… Nos chevaux galopaient le long du rivage, comme s’ils fuyaient l’œil humain… Mario est plus jeune que moi ; l’humidité du temps et l’écume salée qui rejaillit jusqu’à nous amènent le contact du froid sur ses lèvres. Je lui dis : « Prends garde !… prends garde !… ferme tes lèvres, les unes contre les autres ; ne vois-tu pas les griffes aiguës de la gerçure, qui sillonne ta peau de blessures cuisantes ? » Il fixe mon front, et me répliqua, avec les mouvements de sa langue : « Oui, je les vois, ces