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ment les traits de ton visage ; car, la lumière des étoiles n’est pas assez forte, pour les éclairer à cette distance. » Alors, avec une démarche modeste, et les yeux baissés, elle foula l’herbe du gazon, en se dirigeant de mon côté. Dès que je la vis : « Je vois que la bonté et la justice ont fait résidence dans ton cœur : nous ne pourrions pas vivre ensemble. Maintenant, tu admires ma beauté, qui a bouleversé plus d’une ; mais, tôt ou tard, tu te repentirais de m’avoir consacré ton amour ; car, tu ne connais pas mon âme. Non que je te sois jamais infidèle : celle qui se livre à moi avec tant d’abandon et de confiance, avec autant de confiance et d’abandon, je me livre à elle ; mais, mets-te le dans la tête, pour ne jamais l’oublier : les loups et les agneaux ne se regardent pas avec des yeux doux. » Que me fallait-il donc, à moi, qui rejetais, avec tant de dégoût, ce qu’il y avait de plus beau dans l’humanité ! ce qu’il me fallait, je n’aurais pas su le dire. Je n’étais pas encore habitué à me rendre un compte rigoureux des phénomènes de mon esprit, au moyen des méthodes que recommande la philosophie. Je m’assis sur un roc, près de la mer. Un navire venait de mettre toutes voiles pour s’éloigner de ce parage : un point imperceptible venait de paraître à l’horizon, et s’approchait peu à peu, poussé par la rafale, en grandissant avec rapidité. La tempête allait commencer ses attaques, et déjà le ciel s’obscurcissait, en devenant d’un noir presque