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instant, la blessure la plus cuisante, le « choc chirurgical » seraient les bienvenus. Supposez un être étouffé sous les oreillers ou bien encore plongé dans le vide, et qui, pendant trente-six ou quarante heures, ne parviendrait à respirer ni à mourir.

En même temps, l’esprit s’éveille, la mémoire s’illumine et la conscience, plus nette, ressuscite. Le séquestre qui pesait sur le cerveau est, à présent, levé. Les images abondent, les idées, les comparaisons heureuses, les paroles jaillissent d’elles-mêmes. C’est un besoin d’expansion, beaucoup moins turbulent, mais non moins impérieux que l’on peut voir chez l’homme pris de vin, un état d’excitation véhémente qui se maintient à peu près deux jours et une nuit. Bientôt, le calme succède à l’orage. Cette cloison que la drogue homicide interpose entre son esclave et le monde gît enfin abattue. Les ténèbres de la morphine font place au grand jour de la Vie. Inquiet d’abord, le sommeil reparaît, s’affirme, et l’on peut dire que le malade, aussitôt qu’il dort à son accoutumée, est évadé enfin des ergastules de l’opium. À la crise aiguë, à l’agonie pour vivre, succède un délicieux anéantissement, une lassitude aimable d’accouchée ; une « paix alcyonienne », un sentiment de force et de plénitude inconnu depuis longtemps.