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Tenez, pour vous éclairer sur la valeur de cette théorie des mots colorés, je vais pêcher au hasard dans un volumineux recueil d’écrits qui m’ont été donnés par des aliénés.

Voici d’abord le début d’une lettre qui m’a

    porte un certain nombre de faits et un, entre autres, fort curieux.

    Il s’agit d’un peintre âgé de 28 ans. Dans la famille de ce peintre il n’y a que des névropathes. Dès son enfance, il a montré beaucoup de prédilection pour la peinture. Intelligent, il montra de bonne heure un caractère violent et inquiet qui s’accentua de plus en plus avec les années. À 18 ans, n’ayant pas obtenu d’un oncle des subsides pour étudier la peinture, il voulut attenter aux jours de celui-ci. Il s’est engagé et pendant son séjour au régiment il a gardé une attitude irréprochable. Rentré du régiment, il devint mélancolique à force de penser à son idée de devenir peintre. Pendant trois ans, il essaya toutes sortes de métiers. Enfin, à l’âge de 24 ans, il put se livrer à son étude préférée ; il travailla d’abord avec tant d’ardeur qu’il obtint un second prix. Il a des périodes de 15, 20 et 30 jours de paresse et ensuite des accès d’activité fébrile. Son caractère est toujours impulsif, violent, misanthrope. Il y a quelques années, il a eu des idées de persécution pendant quelques mois. Physiquement il ne présente aucun stigmate de dégénérescence. Il affirme que depuis son enfance il s’est aperçu du phénomène de l’audition colorée, mais qu’il n’y a attribué aucune importance. Il croyait que ce phénomène était naturel et normal. Certaines couleurs lui causaient un état émotif, d’autres évoquaient chez lui des gradations de tonalité musicale. Le jaune pâle, par exemple, exprime une note élevée qui, comme il dit, lui va au cœur.