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Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

Qui ne connaît pas la couleur des mots ne peut comprendre la poésie décadente.

C’est ce que Adoré Floupette explique à son ami Tapora, pharmacien : « Les mots ne peignent pas, ils sont la peinture elle-même. Autant de mots, autant de couleurs ; il y en a de verts, de jaunes et de rouges comme les bocaux de ton officine ; il y en a d’une teinte dont vivent les séraphins et que les pharmaciens ne soupçonnent pas. Quand tu prononces : renoncule, n’as-tu pas dans l’âme toute la douceur attendrie des crépuscules d’automne ? On dit : un cigare brun. Quelle absurdité ! Comme si ce n’était pas l’incarnation même de la blondeur que le cigare ! Campanule est rose, d’un rose ingénu ; triomphe, d’un pourpre de sang ; adolescence, bleu pâle ; miséricorde, bleu foncé ».

M. René Ghil, dans son Traité du verbe, dit : « Que surgissent maintenant les couleurs des voyelles, sonnant le mystère primordial. Colorées ainsi se prouvent à mon regard exempt d’antérieur aveuglement les cinq :

A noir, E blanc, I bleu, O rouge, U jaune, dans la très calme beauté des cinq durables lieux s’épanouissant le monde au soleil ; mais l’A, étrange qui s’étouffe des quatre autres la propre gloire, pour ce qu’étant le désert, il implique toutes les présences. »