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d’un état d’âme particulier. Cela ressort très nettement de l’étude de toutes les littératures, depuis leur enfance jusqu’à leur apogée et leur décadence.

Les peuples enfants revivent dans leurs poètes avec toute leur naïveté et quelquefois aussi toute leur brutalité. Les poésies des peuples primitifs sont les plus naturalistes qui existent, mais naturalistes au bon sens, ou mieux au sens exact du mot. On peint les choses et les êtres tels qu’ils sont, sans rechercher avec un besoin, en quelque sorte maladif, les côtés laids et repoussants de la nature.

Puis les mœurs s’épurent, les goûts s’affinent, les sentiments s’ennoblissent. La poésie reçoit immédiatement le contre-coup de cette transformation. Les poètes sortent du réel, grandissent les hommes, embellissent la nature, tout en restant humains. C’est l’âge d’or des littératures et des peuples, ce qu’on est convenu d’appeler les époques classiques.

La race a donné ce qu’elle pouvait donner de mieux ; elle a atteint son apogée ; elle ne va pas tarder à redescendre la pente opposée pour marcher à la stérilité et à l’anéantissement. Après les poètes des grandes époques, nous voyons des poètes qui voguent en pleine chimère, à la poursuite de l’irréalisable et de l’irréel, à la recherche de ce qu’ils appellent l’idéal, un rêve de leur cerveau névrosé. Ce sont déjà des oiseaux qui bat-