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Nous dévorons nos fils de baisers seulement ;
Mais le matou, cruel quand la faim l’exaspère,
Pouvant prouver aux siens qu’il les aime autrement,
En ne les croquant point se montre assez bon père.

Cet amour des chats n’est pas rare chez les poètes un peu détraqués. Je connais un poète de talent qui, malheureusement pour lui, a conservé à l’âge d’homme les naïvetés et les faiblesses d’un enfant. Il a une passion morbide pour les chats et en entretient trois sur ses modestes revenus. En été ils empoisonnent et rendent presque irrespirable l’air de l’unique pièce qu’il habite. Il les dorlotte, les caresse, ne sort ni ne rentre jamais sans les avoir embrassés longuement. Il est prêt pour eux à tous les sacrifices et fait plus pour eux qu’un bon père de famille ne ferait pour ses enfants. Le jour de leur anniversaire, il leur achète des alouettes, leur donne des balles et des poupées pour les amuser. Il dut un jour se résigner à faire subir à l’un d’eux cette cruelle opération qu’un chanoine fit subir à l’infortuné Abeilard. Il s’y résigna en pleurant et acheta au matou, pour le consoler, une boîte de sardines. Un soir il recueillit une chatte errante qu’il n’eut pas le courage de laisser dans la rue. La nuit, pour éviter qu’elle jette le désordre et la zizanie parmi ses matous, il la mit coucher avec lui et l’attacha avec une ficelle au