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d’esprit et par recherche d’une sensation nouvelle. Ici encore, il ne m’est pas permis de citer des noms. Mais j’affirme qu’il existe parmi les poètes décadents un nombre très sérieux de morphiniques passionnels, et il en est parmi eux trois au moins qui jouissent d’une certaine notoriété. Ces trois malheureux ne sont point venus à la morphine pour y trouver l’oubli de souffrances physiques réelles. Ils y sont venus par vanité, par forfanterie peut-être, mais peut-être aussi attirés par ce poison mystérieux qui leur procure, assurent-ils, la plus suraigüe et la plus douloureuse des voluptés, en même temps qu’il les détraque tous les jours un peu plus, désagrégeant leur individualité morale en même temps qu’il désagrège lentement leur individualité physique. En cela ils se comportent absolument comme des héréditaires dégénérés.

Comme l’alcool et la morphine, le tabac procure une sorte d’euphorie, plus légère et plus fugace, il est vrai, mais réelle néanmoins. Il est certain que, pour nombre d’individus, la fumée du tabac, à dose modérée, produit une excitation cérébrale ; mais il est non moins certain qu’à dose plus élevée elle ne tarde pas à faire naître la paresse et l’improductivité. L’esprit ne s’adonne plus qu’à la rêverie et ne sait plus travailler réellement. Je n’ai pas besoin de dire combien l’usage et plus encore l’abus du tabac se rencontre parmi les individus que j’étudie.