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LES IDÉES DE NIETZSCHE SUR LA MUSIQUE


tragique, ce qu’ils perçoivent n’est pas, comme on pourrait le penser, l’homme au visage couvert d’un masque informe, mais bien une vision née, pour ainsi dire, de leur propre enivrement[1].


En d’autres termes, il y aurait entre la création dramatique, dans tout ce qu’elle a chez Eschyle et Sophocle de poids, de solidité, de vérité, et le vague et débordant enthousiasme exprimé par le chœur dionysiaque primitif, exactement le même rapport que nous avons dit exister entre la mélodie, dans la création de laquelle s’apaise l’émotion créatrice du musicien et cette émotion créatrice. Nietzsche brave ici le bon sens. La mélodie musicale est sans modèle dans la nature et ne connaît d’autre loi que celle de sa propre ligne. Mais le théâtre, s’il n’est certes pas qu’un art d’imitation, est un art d’imitation. Il met en scène des hommes, des actions et des événements humains ; ses inventions sont assujetties à la logique et à la vérité objectives de la nature, aux conditions du possible. Le rêve ne con-

  1. Naissance de la tragédie, p. 63.