avec une intelligence étroite, les désirs tyranniques
et sans frein d’une telle volonté eussent pu devenir
fatals ; en tout cas, il était nécessaire qu’une issue
vers le grand air se trouvât bientôt et qu’une atmosphère
limpide, la lumière du soleil pénétrassent. Un
puissant effort, que nous voyons perpétuellement condamné
à ne pas réussir, rend méchant. L’échec peut
quelquefois tenir aux circonstances, à l’immutabilité
du destin, non pas au manque de force ; mais celui
qui, malgré cet échec, ne peut renoncer à son effort,
commence, pour ainsi dire, à souffrir d’un ulcère
interne qui le rend irritable et injuste. Peut-être cherche-t-il
dans les autres les causes de son insuccès ;
et même il peut aller, dans une haine passionnée, jusqu’à
traiter l’univers en coupable ; peut-être encore se
jette-il, bravant tout, en des chemins détournés et
tortueux ; ou exerce-t-il la violence ; c’est ainsi qu’il
arrive que des natures bonnes tournent au farouche
dans leur marche même vers le meilleur. Même parmi
ceux qui ne poursuivaient que leur propre purification
morale, cénobites et moines, il se trouve de ces
natures devenues farouches, et malades jusqu’à la
dernière fibre, de ces hommes minés et rongés par
l’insuccès. Il y avait un esprit plein d’amour, surabondant
en bonté et en douceur, tendrement persuasif,
haïssant l’action violente et la destruction de soi-même
et ne voulant voir de chaînes à personne : cet
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LES IDÉES DE NIETZSCHE SUR LA MUSIQUE