nité, où la musique aussi devait nécessairement avoir
possédé cette pureté non surpassée, cette puissance,
cette innocence que, dans leurs pastorales, les poètes
savaient évoquer d’une manière si touchante. Ici nous
pénétrons, dans ce qu’il a de plus intime, le principe
générateur de ce genre d’art tout spécialement
moderne, l’opéra : un besoin puissant se crée à soi-même
un art, mais un besoin de qualité inesthétique :
l’attrait passionné pour l’idylle, la croyance à l’existence
d’un être humain artiste et bon à l’origine des
temps. Le récitatif passa pour le langage reconstitué
de cet homme primitif, l’opéra pour la patrie retrouvée
de cet être d’une bonté idyllique ou héroïque, qui
obéit dans toutes ses actions en même temps à un
instinct artistique naturel, qui, à propos de tout ce qu’il
a à dire, chante pour le moins quelque chose, et sous
l’influence de la plus légère excitation du sentiment,
chante soudain à pleine voix. Peu nous importe
aujourd’hui qu’à l’aide de cette image nouvellement
créée de l’artiste paradisiaque les humanistes de l’époque
combattissent la vieille conception de l’Eglise
sur la nature humaine corrompue et damnée : de ce
point de vue il faut comprendre l’opéra comme la
doctrine d’opposition qui professe la bonté de l’homme ;
mais en même temps on avait trouvé en lui un
moyen de consolation contre ce pessimisme auquel
précisément les esprits sérieux de ce temps, au milieu
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LES IDÉES DE NIETZSCHE SUR LA MUSIQUE