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PIERRE LASSERRE

d’abord, d’éluder le problème que ces contradictions posent à l’intelligence et à l’activité de l’homme, puis de glorifier cette solution équivoque et peu généreuse. Le moyen ? déshonorer dans l’opinion de l’humanité l’un des principes antagonistes que l’individu ou la société portent en leur sein ; — par là, justifier ceux-ci du dérèglement avec lequel ils se laisseront emporter à l’excès du principe contraire.

Un exemple — l’avilissement de la « matière » — éclaircira cet artifice.

Ce qui rend irréalisable pour l’homme presque la perfection de son type, c’est la dualité de sa nature : esprit et corps. Comment ne pas perdre en valeur physique, en aptitude à la vie, en naturel, ce qu’il gagnera en intensité méditative, en conscience ? Il y a mesure même à l’excellent. Ainsi se connaître est bon, se trop connaître est mortel. Le problème de ces conciliations délicates ne se pose pas pour des peuples encore peu éloignés de la barbarie, ni pour des classes peu conscientes. Mais il fait cruellement sentir sa complexité à l’élite des civilisations déjà avancées. Gœthe nous montre dans Faust un fanatique de méditation qui a perdu dans cet abus l’ingénuité nécessaire à toute entreprise virile. Encore Faust reprend-il goût au réel. Combien gardent au fond d’eux-mêmes cette réserve de santé qui le sauve,