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LA MORALE DE NIETZSCHE

Arrêtons-nous un instant sur cette formule fameuse, à cause du grave malentendu auquel elle peut prêter.

Depuis Hegel, les métaphysiciens allemands sont obsédés du dessein grandiose, mais fabuleux, de ramener toute la variété de l’univers à un unique principe générateur. Ce principe, ils s’évertuent à l’atteindre par une dialectique souvent fort obscure, où l’imagination supplée la raison. Et ils le baptisent. C’est pour l’un le Moi, pour d’autres l’Absolu, l’Inconscient, la Volonté. On reconnaît là de simples abstractions logiques ou psychologiques divinisées. Dans la fausse vue qui fait de Nietzsche le continuateur de ces philosophes, et de sa doctrine la dernière étape dans le développement de ce panthéisme, d’ailleurs si vain, quelques auteurs prennent la « Volonté de puissance » pour une formule d’explication cosmique. Ainsi entendu, Nietzsche perdrait toute sa précision, tout son prix. Malgré des éclairs parfois jetés sur le domaine des idées cosmologiques, il n’étend pas sérieusement ses regards au delà du règne humain. C’est dans l’homme qu’il observe la Volonté de puissance. Il voit en elle la cause première de tout ce que l’industrie humaine a ajouté à la nature. Il entend qu’à l’origine de tout ce qui s’est établi de durable, d’ordonné, de proprement humain dans l’humanité, il y a, non pas suggestion de