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PIERRE LASSERRE

à se prononcer sur la religion et sur la morale. Or, de toutes les prérogatives possibles, il n’en est pas, justement, dont une répartition aveugle, une concession indiscrète, menaçât l’État et la civilisation de plus de dangers.

Plutôt prétendre tous les citoyens aptes de naissance à tailler dans le marbre un bel Apollon que de les faire indistinctement libres juges du juste et de l’injuste, du bien et du mal, du fondement des mœurs, des origines de l’autorité et de la mission de la patrie. Souveraines questions réservées à moins de personnes encore que la sculpture et la musique, objet d’une plus précieuse espèce de compétence !

Un État où il n’y aurait que des premiers ministres serait moins exposé à la dissolution et à l’anarchie qu’un État dont tous les membres seraient augures ou pythonisses, interprètes des dieux. Car les dieux ont toujours ressemblé singulièrement aux âmes qui parlent sous leur inspiration. Et il n’est pas vrai que toutes les âmes soient égales. Il ne l’est pas davantage qu’une société organisée ait jamais pu se passer de dieux. Pas de pouvoir public qui n’ait tiré de quelque divinité son principal moyen de prestige et de gouvernement : divinités de marbre et d’or, divinités de pain azyme, divinités de bois… ou divinités de mots.

Mais l’existence d’une hiérarchie sociale ne se justifie pas seulement par l’intérêt politique et