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Schulze, que chez vous les besoins matériels de l’existence sont le point où ce qu’il y a de bestial dans notre nature a sa sombre ligne de démarcation. Peut-être chez d’autres le bestial ne fait-il que commencer là. Chez vous, au contraire, il y a sa ligne de démarcation et par conséquent s’étend jusque-là. S’il en est ainsi, tout le caractère et le contenu intellectuel de votre livre se dévoile de soi-même dans cet aveu sincère.

Mais, secondement : ce serait introduire la guerre de tous. Selon vous, si à la place de votre prétendu aide-toi social ou de l’abandon de tous les individus à leurs propres forces on donnait à la classe ouvrière, moyennant de grandes mesures organiques, la possibilité de la production solidaire, ce serait amener la guerre de tous ?

Dans quelle peau de lion enveloppez-vous vos membres ? Et que votre oreille apparaît gauche et perfide quand vous parlez ici de la guerre de tous ! La guerre de tous contre tous, bellum omnium in omnes, est un terme technique dont le grand philosophe anglais Hobbes (né en 1585) est l’inventeur.

Mais Hobbes désigne par ce terme précisément la situation d’individus abandonnés à eux-mêmes, vivant dans une autonomie et égalité absolues, le status naturalis (état de nature), en un mot, ce qu’on nomme comparativement à l’opposé de l’État la sphère de la société bourgeoise adonnée à la concurrence libre[1]. Il voit cette lutte de tous contre tous empêchée seulement par l’établissement de l’État positif et de ses lois coercitives[2].

  1. Dans le célèbre livre : Elementa philosophica de cive ; Libertas, chap. I, XII et XIII, p. 15, éd. Amster., 1647.
  2. Beaucoup plus profond que tous les juristes rationalistes pseudo-philosophes et libéraux, qui ne voient dans l’État qu’une institution consacrant la propriété qui l’a précédé comme droit naturel, Hobbes ne fait dériver la propriété que de l’État positif et comme n’étant qu’institution positive de l’État, ib., Imperium, cap. VI et XV, p. 108 : Quoniam autem ut supra ostensum est ante constitutionem civitatis omnia omnium sunt, neque est quod quis ito suum esse dicat, quod non alius quilibet idem eodem jure vindicet pro suo (ubi enim omnia communia sunt, nihil cuiquam proprium esse potest), sequitur proprietatem initium sumpsisse cum ipsis civitalibus atque esse id cuique proprium, quod sibi retinere potest per loges et potentiam totius civitatis, hoc est, per eum cui summum ejus imperium delatum est.